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2 novembre 2015 1 02 /11 /novembre /2015 15:12

Deuxième extrait du livre de W.H. Hudson "Conseils aux chasseurs de vipères".

 

Quand on observe les animaux, il faut toujours se garder de tout anthropomorphisme et se méfier de notre tendance naturelle à projeter sur eux nos propres sentiments et nos propres interprétations humaines. Un oiseau chante-t-il parce qu'il est heureux ou pour marquer son territoire ? Le scientifique prudent se gardera bien d'évoquer la première possibilité. Comment pourrait-il le savoir d'ailleurs ?

 

Pourtant, quand on observe de près les animaux, on ne peut s'empêcher de penser qu'ils ont, eux aussi, un caractère, une manière d'être, des habitudes, qui ne peuvent se résumer à la supposée fonctionnalité utilitaire de leur comportement. Pourquoi un oiseau ne pourrait-il pas aussi chanter de jubilation, après tout. Pas plus tard qu'hier, en observant des mouettes jouer et se disputer après la nourriture que leur lançait un passant, il m'était difficile de ne pas penser qu'elles s'amusaient beaucoup. En particulier lorsque j'en vis une lâcher le morceau de pain qu'elle tenait en son bec, le laisser tomber et le ressaisir prestement, juste avant qu'il ne touche la surface de l'eau, alors même qu'aucun autre volatile ne la poursuivait pour lui voler sa pitance.

 

C'est une réflexion de ce genre que nous livre ici à sa manière W.H. Hudson :

Un soir de novembre, en sortant du bois, je me postai à l'abri d'un fossé frangé de carex et de phragmites jaunes, avec, devant moi, toute la verte étendue du marais. Le bois regorgeait de faisans qui, durant la journée, allaient chercher leur nourriture dans les marais ou dans les champs. Je les voyais arriver, courant ou volant, faisant du tapage dans le bois quand ils se posaient sur leur perchoir en caquetant ou coquerinant. Ils se calmèrent bientôt et je pensai qu'ils étaient tous couchés ; mais, balayantl'étendue verte à la jumelle, je découvris, à environ deux cents mètres de l'endroit où je me trouvais, au bord d'un fossé et d'une clôture en fil métallique près desquels poussaient quelques ronces, un coq faisan qui semblait avoir du plomb dans l'aile. Il avait l'air mal en point, ayant peut-être écopé d'un plomb perdu, ou souffrant d'une maladie naturelle. Je l'observai pendant vingt ou vingt-cinq minutes, mais il ne fit pas le moindre mouvement.
Puis, un merle sortit comme une fusée du bois et, passant au-dessus de ma tête, vola droit devant lui vers le marais. Le suivant à la jumelle, je le vis se percher sur le buisson près duquel se tenait le faisan.   Celui-ci leva instantanément la tête, le merle vint se poser près de lui, et les deux oiseaux se mirent en quète de nourriture, faisan marchant d'un pas tranquille dans l'herbe, picorant à mesure, le merle sautillant rapidement , ici et là, avec de petites courses en avant ponctuées de retour vers son compagnon. Bientôt, le croasssement soudain d'une corneille noire volant vers le bois effraya le merle, qui fila dans le buisson où il resta perché environ une minute. L'autre ne fut pas effrayé, mais cessa aussitôt de picorer et demeura immobile, attendant patiemment le retour de son compagnon pour reprendre sa quête. Découvrant un met à son goût, le faisan resta quelques minutes au même endroit, picorant rapidement, tandis que l'autre courait dans tous les sens à la recherche de vers. Il finit par en trouver un, le fit sortir de terre et s'afaira un moment dessus, puis revint vers le faisan.
Photo © Gilbert Schaffhauser

Photo © Gilbert Schaffhauser

Le temps que dura ce manège, je ne pus, sur toute l'étndue du marécage, détecter la présence d'aucun autre oiseau du bois, pas même d'une grive, qui est le mange tard par excellence. Tous étaient couchés et il était impossible de ne pas croire que ces deux-là étaient amis, qu'ils avaient l'habitude de se rencontrer à cet endroit pour chercher leur nourriture ensemble, et que, lorsque j'avais découvert le faisan dans cette attitude apathique,après le départ de ses congénères, il attendait son petit compagnon noir et n'aurait pour rien au monde dîné sans lui.
Il faisait sombre lorsque le merle se décida enfin à regagner le bois. Aussitôt, le faisan, tête levée, se mit à marcher dans la même direction, puis à courir et, décollant bientôt, vola droit vers les pins.
Mon expérience est que l'amitié entre deux oiseaux, si l'on peut employer ce terme pour désigner ce genre de compagnonage, est beaucoup plus commune qu'on ne le croit, bien que les gardes-chasses ne veuillent pas en entendre parler. Il n'y a rien d'étonnant à cela : ils ont l'esprit jumelé au canon de leur fusil. L'un d'eux, pourtant, à qui je racontais cette histoire qu'il avait envie d'accueillir d'un haussement d'épaules, me dit avoir observé, pendant deux ou trois mois, l'année précédente, le comportement d'un gravelot et d'un chevalier. Il était impossible de ne pas voir, dit-il, combien ils étaient intimes, car ils ne se quittaient pas, même lorsqu'ils cherchaient leur nourriture avec d'autres oiseaux du litoral. C'est une chose que l'on remarque parfois, quand il y a une association entre deux oiseaux d'espèces différentes, mais il est probable qu'elle est beaucoup plus commune chez ceux de la même espèce et que, chez les espèces grégaires ou à l'instinct social développé, les oiseaux qui ne sont pas accouplés ont un copain dans la bande.
W.H. Hudson, Conseils aux chasseurs de vipères, Klincksieck, 2015, pp. 39-43

Merci au photographe Gilbert Schaffhauser qui m'a autorisé à utiliser la photo reproduite sur cette page qui convient si bien à l'extrait du livre de W.H. Hudson. Par ici pour visiter son site : http://gilbert68.e-monsite.com/

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