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21 mai 2008 3 21 /05 /mai /2008 11:35
Encore un joli extrait de la V'limeuse autour du monde...
    Alors que nous avançons prudemment vers le havre, en évitant les filets, guidés par les éclats lumineux des pêcheurs, la nuit s'estompe peu à peu. Et avec elle, nos certitudes de naviguer au vingtième siècle.
    C'est une vision d'un autre âge qui émerge dans les premières lueurs de l'aube. La mer est couverte non de barques, mais de troncs d'arbres creusés où des hommes remontent tranquillement leurs filets. Ils sont trois, parfois quatre dans ces pirogues étroites à balanciers, et leurs gestes lents semblent détenir le pouvoir d'immobiliser le temps.
    Nous avançons toujours, anachroniques et médusés. Les pêcheurs doivent lever la tête pour nous regarder passer. Et nous en ressentons tous une gêne soudaine, nous les voyageurs sur notre grand bateau d'acier.
    La lumière devient rose, l'air se met à danser. Posées sur le sommet du cap, les murailles fortifiées de Galle vacillent dans les vapeurs matinales, comme un mirage enveloppé de chaleur.

    L'ancien fort hollandais surplombe ainsi la mer depuis des siècles, vestige d'une autre époque. Pendant 300 ans, les Portugais, les Hollandais et les Anglais ont déferlé sur Ceylan par vagues successives. Les grandes puissances européennes colonisaient le monde après l'avoir prétendument découvert. Elles s'en arrachaient les richesses, se séparaient les îles, se divisaient la terre.
    Puis les vagues se sont retirées les unes après les autres en laissant quelques traces bien visibles sur la terre ferme, comme ces hautes murailles de pierre.
    Mais ici, entre les pirogues où les pêcheurs cinghalais rentrent leurs lourds filets de chanvre, la mer en a effacé tout souvenir. Et ces hommes qui répètent les mêmes gestes depuis des millénaires semblent nous dire : vous arrivez, vous repartirez. L'humanité s'agite. Elle oublie souvent la quête de l'humilité et de la sagesse.

    - Damien, va réveiller tes soeurs, demande Carl.
    Je peux déceler au ton de sa voix, l'émotion d'un père qui offre à ses enfants l'immatérielle et fugitive beauté du monde.
    Noémie et Sandrine se poussent un peu dans l'échelle avant de se blottir près du mât en silence, soudainement intimidées par les pêcheurs. Puis c'est le tour d'Evangéline. Les hommes dans leur pirogue creuse échangent des mots à voix basse et répondent à nos gestes de la main par de larges sourire.
    Alors le soleil se lève au-dessus des palmiers et nous pénétrons dans l'enceinte portuaire, laissant derrière nous la mer.
Carl Mailhot et Dominique Manny, La V'limeuse autour du monde, Tome 2, 1995, pp. 79-80.

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  • : Aimant la nature, la randonnée la philosophie et les récits de voyages, je vous livre ici des extraits, parfois commentés, de livres que j'ai aimés, en rapport, et si possible à l'intersection, de ces différents sujets.
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