Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
8 juin 2008 7 08 /06 /juin /2008 11:10

    Tout le reste du jour et une partie de la nuit nous restons allongés serrés les uns contre les autres, à remuer en geignant comme de jeunes chiots tandis que la pluie glisse à flots le long des coutures de la tente et que le vent fend l'obscurité en applatissant notre abri. Chaque fois que le toit de la tente se soulève, l'eau de pluie s'échappe de la toile et se disperse sur nos visages.
    Eh bien, cet orage était-il beau ? Oui, lorsqu'il était encore au loin. Vu de l'intérieur, il était horrible : "sombre, incertain, confus", pour citer Burke. Et je n'éprouvais pas de calme au milieu de la tempête, mais une excitation fébrile, une extrême concentration et une intensité proche de la crainte, l'antithèse même de la beauté. Mais il faut faire attention, nous rappelle Burke. L'autre de la "beauté" n'est pas la "laideur". L'autre de la "beauté", c'est le sublime, cette prise de conscience, comme un coup dans les tripes, de la présence de forces chaotiques libérées et incontrolées, la terreur - et finalement le respect sacré. Éprouver le sublime, c'est comprendre, avec une intuition si farouche et si soudaine qu'elle vous fait courber l'échine, qu'il y a dans l'univers une puissance et un potentiel supérieur à tout ce qu'on peut imaginer. Le sublime fait éclater les frontières de l'expérience humaine. N'est-ce pas à cela, en fin de compte, que nous aspirons ardemment ?
Kathleen Dean Moore, Petit traité de philosophie naturelle, Gallmeister, 2006, p. 63.

Passons sur les adjectifs excessifs du genre horrible ou farouche. Reste cette expérience du sublime dont l'orage est effectivement une des portes d'entrée. Enfin, peut-être.
Je me souviens en effet d'un orage, passé sous un surplomb rocheux, juste avant le col, à une altitude bien trop élevée à mon goût, en compagnie d'une bande de Polonais hilares. La montagne tremblait sous les coups de tonnerre, la pluie tombait à seaux, et nos polonais ne cessaient d'échanger de grosses plaisanteries, incompréhensibles à mes oreilles de francophone, où le terme "amerinkanski" revenait sans cesse. Rien de tel que ce mélange de frayeur et de grosse rigolade pour démystifier le sublime. Après, ne restèrent que le soulagement et la joie de redescendre sain et sauf. Et aussi, la joie de pouvoir raconter une bonne histoire en rejoignant mon camarade resté en bas.
Je me souviens d'un autre orage, passé sous la tente cette fois.  Mes deux mains soutenaient les arceaux écrasés par le vent sur nos sacs couchage et nos visages. Le tonnerre résonnait violemment sur les parois du cirque rocheux qui nous entourait et son intensité sonore était vraiment impressionnante. Le tout a duré 10, 15 minutes. Mais de sublime ? Pas un poil ! Seulement la pensée obsessionnelle "pourvu que la tente tienne, pourvu que la tente ne se déchire pas, pourvu que la tente ne perce pas, vivement que ça s'arrête..." Le sublime n'est venu qu'après, en y repensant la tempête apaisée. Mais au moment même ? Seulement l'intensité de la vie et de la peur mêlées.
Alors, le sublime ? Si l'on est honnête et si l'on refuse d'habiller son vécu réel de mots qui le rendent plus noble et plus valeureux à nos yeux ? Est-il autre chose qu'une construction romantique ou philosophique après coup ?
Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Un blog de Nature Writing
  • : Aimant la nature, la randonnée la philosophie et les récits de voyages, je vous livre ici des extraits, parfois commentés, de livres que j'ai aimés, en rapport, et si possible à l'intersection, de ces différents sujets.
  • Contact

Recherche

Archives

Catégories

Liens