Repenser ma vie et la Vie

Ils sont nombreux à parcourir les chemins de Saint-Jacques de Compostelle, un peu moins nombreux à en faire un livre. Après un récit, un peu baclé à mes yeux, de leurs huit ans de tour du monde, et un autre que je n'ai pas encore lu, de leur pérégrination en Roumanie, Maryvonne et Bruno Robineau racontent leur pèlerinage en famille et en solitaire vers Compostelle. En soi, rien d'original : la suite des rencontres multiples et variées au fil des jours, les hauts et les bas que toute randonnée au long cours apporte inévitablement, les états d'âme aussi à mesure que s'approche Saint-Jacques. Pourtant, par la simplicité même du style et du récit, ce livre parle et respire vrai, à l'égal de celui de Véronique Choppinet dont j'avais déjà publié des extraits en un autre lieu.

A ma droite, de douces collines aux formes rondes, semées de longues parcelles de céréales dont le vent fait une houle verte où jouent les ombres des nuages. Les oiseaux nous offrent un concert, musiciens invisibles cachés dans les blés. Le ciel est d'un bleu extraordianaire, d'une pureté parfaite. Les mots sont impuissants à dire cette beauté, ils échouent à dire la magie de l'instant. Il faudrait être peintre ou poète. Il me vient à l'esprit un "bleu marial" pour exprimer le mieux la pureté et la tendresse de ce bleu, ces verts tachetés de quelques coquelicots et de petits tas de pierres blanches. J'ai envie de remercier pour tant de beauté. Je fredonne un chant à la Vierge, tout en douceur. Je voudrais partager cette émotion qui me submerge. Un groupe de pèlerins passe à côté de moi, discutant des mérites de leurs chaussures respectives. Ils n'ont rien vu? Tant pis,

Je reprends mon sac et arrive à hauteur de Brigitte, une italienne, qui avance lentement à cause de ses ampoules, mais toujours le sourire aux lèvres. Nous avons fait connaissance rapidement hier soir à l'auberge. Avec ses quelques mots d'anglais, elle me parle de la beauté du ciel. Nous partageons nos émotions au-delà des mots impossibles à trouver.

Je poursuis ma route, seule. Je me sens tellement heureuse que je voudrais partager ce moment avec les miens. J'ai une pensée pour Bruno, avec ses interrogations sur son avenir professionnel; pour Sarah, qu'elle continue dans la vie avec se droiture sa sensibilité aux autres et sa joie de vivre; pour Vincent, que son énergie et sa bonne humeur naturelle l'aident l'aident à passer les étapes difficiles. Bonheur de jouir d'une telle liberté, de marcher ou de me reposer, de m'arrêter où bon me semble, de profiter d'un tel privilège de vie.

Je suis en congé de soucis, de stress, d'informations alarmantes, libérée des contingences de gestion de la vie courante, loin du bavardage médiatique. Quand on s'est extripé de son quotidien, il es tplus facile de poser un regard neuf sur les autres et sur soi-même. Mon ordinaire, ici, c'est marcher - rien de plus simple, il suffit de mettre un pied devant l'autre et de recommencer-, dormir et manger - le souci du couvert se fait secondaire car on trouve des auberges et des magasins tous les dix kilomètres.- Rien que l'essentiel pour regagner l'unité de l'être au cours de ce temps privilégié. Mon esprit se trouve totalement libre, disponible pour admirer les merveilles de la Création, s'imprégner de mille et une sensations, remercier, repenser ma vie et la Vie.

Maryvonne Robineau, Compostelle en famille, Editions Opéra, 2007, pp. 91-92.