Premier extrait d'un classique du Nature Writing, Le pèlerin de J.A. Baker.
Un récit aux antipodes d'une vision idéalisée et romantique de la nature puisqu'il raconte en long en large et en travers les chasses des faucons pèlerins peuplant une région du Centre-sud de l'Angleterre. S'y déploie le tableau d'une nature et d'une faune étonnament foisonnante, en parallèle avec la description distanciée et quasi clinique des techniques de chasse du faucon, se terminant presque toujours par la mort de sa proie. On sent toute la fascination de l'auteur pour son sujet, dont la beauté n'égale que la cruauté inconsciente.
Avec, pour ne rien gâcher, une écriture au biseau, d'une qualité remarquable.
La marée montait sur l'estuaire; les échassiers dormaient par milliers dans les prés salés; les pluviers s'agitaient. Je m'attendis à voir le faucon tomber du ciel, mais il arriva de l'intérieur du pays, volant bas. Croissant noir au ras des terres, découpant les prés salés, bousculant un nuage de bécasseaux dru comme un essaim d'abeilles. Il s'arrêta au milieu du peloton, requin noir dans une mer pleine de poissons argentés, battant l'eau et plongeant. D'un seul coup, il se dégagea du tourbillon pour ne plus poursuivre qu'un seul bécasseau jusque dans le ciel. Le bécasseau semblait rejoindre lentement le faucon. Englouti par ses sombres contours, il ne reparut plus. Il n'y eu ni brutalité, ni violence. Le pied du faucon s'allongea, accrocha, serra et étouffa le bécasseau sans effort, comme on écrase un insecte du bout du doigt. Mollement, nonchalamment, le faucon se posa sur un orme de l'île pour plumer et manger sa proie.
J.A. Baker, Le pèlerin, Folio n° 2081, 1968, p. 65
Faucon (crécerelle, pas pèlerin !) dégustant un petit rongeur sur un poteau de chemin de fer, Meuse namuroise.