22 mai 2015
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Second extrait du livre de J.A. Baker : Le pèlerin. On y retrouve la même poésie mâtinée d'ambiguïté devant la cruauté de la nature.
La terre dégage de l'air froid, qui monte dès que le soleil se couche. La clarté se fait plus aveuglante. Au sud, le ciel resplendit, bleu profond, lilas pâle, violet, puis sombre dans la grisaille. Lentement le vent mollit et l'air immobile commence à geler. La masse de l'arête rocheuse, à l'est, est noire, couverte d'une sorte de duvet semblable au velouté d'une peau de raisin noir. Quelques flammes jaillissent à l'ouest. La froide traînée d'ambre des dernières lueurs du soleil projette des ombres lunaires et précises. Il y a comme un mystère animal dans cette lumière qui s'appesantit sur les champs comme un muscle engourdi par le froid et qui reprendra vie au lever du soleil.
J'éprouvai comme une envie de m'étendre dans cette couche épaisse et frigorifiée de silence, pour tenir compagnie, pour apporter du réconfort à ceux qui meurent de froid dans les profondeurs glacées, au pied du solstice : ceux qui ont fui le faucon dans le ciel, l'épervier dans la pénombre des bois, ceux qui ont échappé au renard, à l'hermine, à la belette qui parcourt les plaines givrées, à la loutre qui nage dans l'eau glaciale du torrent : ceux dont le sang galope pour vaincre les meutes de l'hiver, ceux dont le coeur fragile suffoque dans l'étreinte impitoyable et griffue du gel.
J.A. Baker, Le pèlerin, Folio, 1967, p. 163.