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25 mai 2015 1 25 /05 /mai /2015 12:21

Troisième extrait du Pèlerin de J.A. Baker.

 

Suspense, beauté, harmonie et violence, sentiment d’injustice enfin, tant on voudrait que la mort ne vienne pas clôturer cet épisode de pure vie sauvage. Mais ainsi va la nature. Les grecs n'ont décidément rien inventé en terme de tragédie !

 

Une épaisse couche de neige couvrait la forêt sud, donnant aux arbres un aspect noir et dur, assourdissant les cris des oiseaux. Les petites branches crépitaient dans le vent, grignotant des mystères de lumière. L'appel strident d'un épervier sonna l'alerte. Cri aigu et nasillard, bref miaulement comme un enregistrement accéléré du chant d'un engoulevent, s'élevant et retombant tour à tour, agressif et découragé, mourant dans une lente complainte. Puis ce fut le silence.
L'épervier quitta sans bruit les arbres, effleurant la neige poudreuse du bout de l'aile. Il descendit et se posa sur la laie découverte. Là où elle descendait vers le torrent, la pente était à l'abri du vent. Le soleil avait fait fondre la neige à cet endroit et une foule d'oiseaux y picoraient dans les feuilles mortes. Tandis qu'ils s'envolaient, le pèlerin s'abattit du haut d'un arbre. Il n'attrappa rien. L'épervier prit son vol, visiblement inconscient du danger. D'un bond, le pèlerin se jeta sur lui. L'épervier se défendit en battant des ailes et parvint à se réfugier dans les arbres. Le pèlerin le suivit. Des battements d'ailes féroces rompirent le silence de la hêtraie. Le pélerin se maintenait dans les espaces plus libres tandis que l'épervier troua en flèche la broussaille . Le pèlerin était plus rapide, l'épervier plus agile. Quand l'épervier se posait sur une branche, le pèlerin l'imitait. Ils échangeaient des regards dans la grisaille enneigée, les yeux cerclés d'orange de l'épervier cherchant le regard sombre cerné de blanc du pèlerin. Les yeux de l'épervier éclataient comme des incendies lointains. Tout à leur conflit, ils ignoraient ma présence.
Cette chasse à froid dura dix minutes, faites de circuits précipités à travers les ronceraies, les frênes et les hêtres. Le pèlerin ne jugea pas bon de descendre en vol piqué dans un si petit espace, l'épervier, lui, était en sécurité tant qu'il se tenait à l'abri. Mais il ne devait pas savoir qu'il était en lieu sûr. Car soudain il s'élança, quittant la forêt pour l'étendue libre des champs. Le pèlerin fondit sur lui du sommet d'un arbre, s'empara de lui avant même qu'il eût parcouru une centaine de mètres et l'emporta pour le déposer sur la neige.
Je le revis plus tard. C'était un mâle adulte. Ses ailes grises s'étalaient des deux côtés de sa carcasse jaune vif et des plumes couleur de soleil couchant de sa poitrine tigrée.
pp. 163-165.
 
Il ne devait pas savoir qu'il était en lieu sûr

Faucon pèlerin dévorant un ramier sur les falaises de la Meuse namuroise.

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