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13 mai 2008 2 13 /05 /mai /2008 23:36

Encore un petit extrait d'Odette du Puigaudeau, où l'on voit se déchaîner une tempête de sable saharienne :

   Cela commençait par un malaise, le sentiment d'une approche redoutable devant laquelle la brousse s'immobilisait, muette, raidie. Les chameaux énervés accéléraient le pas. Nous, les gens, nous nous taisions, haletants, oppressés par la chaleur irrespirable, bouche tendue, souffle coupé.
   Lentement, à l'est, du jaune montait dans le ciel. Le bas du ciel rosissait comme au-dessus d'un feu qui aurait brûlé derrière l'horizon. De lourdes fumées roulaient en volutes, s'élevaient, s'amalgamaient, formaient bientôt une muraille sombre qui s'avançait d'une seule pièce, effaçant l'un après l'autre les guelbs, les rochers, les arbres lointains, et les plus proches auxquels nous venions de couper des bâtonnets gluants de sève pour rappeler, en les mâchant, un peu de salive dans nos bouches. Nous forcions nos montures de la voix et du pied. Nous fuyions. Atteindrions-nous à temps cette guitoune de bergers, cette palmeraie, cette grosse roche, cette entaille de la montagne, ce buisson, n'importe quoi ?
   Un ronflement passait sur la brousse et, en même temps, on entendait le gémissement de tous les arbres courbés les uns après les autres, avec leurs branches rejetées toutes du même côté, sans un sursaut, solidement maintenues sous la poigne du vent d'est.
  Il n'était pas encore sur nous, mais, poussé par son souffle, l'air stagnant qui nous étouffait se mettait en mouvement, devenait un vent clair, affolé comme s'il tentait de fuir, lui aussi. Le vent jaune, le vent épais le rattrapait en deux ou trois rafales d'avant-garde, bien larges, bien horizontales, bien soufflantes, coupées de pauses, juste le temps de reprendre haleine. Des averses de sables crépitaient.
    Après, il n'y avait plus de rafales ni d'accalmies. On ne voyait plus rien ; il n'y avait plus rien à faire, qu'à se rouler en boule, la tête sur les genoux, dans l'âouli. On était dans la masse de la tornade, dans cette dune volante qu'elle avait ramassée, brassée, poussée à travers tout le Sahara, prenant et jetant à la fois, et qu'elle continuait à ramasser ici par charges qui roulaient en un instant sur le sol, se levaient en tourbillonnant et partaient avec elle.
    On savait que le gros de la tornade sêche était passée quand de larges gouttes d'eau se mêlaient au sable. Alors on se risquait à respirer, à se secouer, à regarder. Au nord-est, à la place du mur de sable, s'élevait à présent une montagne de suie courronnée d'une ébulition  noire et grise. Le reste du ciel, à son tour, brûlait.
    Des éclairs déchiraient le noir comme si les gigantesques masses de nuages faisaient feu en se heurtant et comme si le tonnerre était le bruit de leurs chocs et de leurs écrasements. Et quand ils avaient gagnés tout le haut du ciel, le vent jetait un déluge d'eau sur la brousse qu'il tenait gémissante et couchée sous lui sans qu'elle pût se débattre.
Odette du Puigaudeau, Tagant, Phébus, 1993, p. 129-131.
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