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5 novembre 2008 3 05 /11 /novembre /2008 21:23

Voici le premier extrait d'un livre comme seule la littérature russe peut en produire, me semble-t-il. Récit d'une île polaire, dans le grand nord sibérien, l'océan arctique. C'est foisonnant, parfois touffus, profond et parfois insignifiant. Il y a de jolies lumières et même les obscurités ne sont pas tout à fait  sans espoir. Enfin, il y a une force, du souffle mais sans l'esprit de sérieux qui gâche parfois les meilleures intuitions. Je l'ai lu en suivant au long de quelques dimanches l'émission "Terug naar Siberïe" sur la VRT. Excellent pour se mettre au diapason !

"Il y a deux jours, j'ai vu dans la rue un homme qui, profitant d'une courte accalmie de la pluie, fixait dans sa cour, au mur du hangard, un mât avec, en haut, un nichoir à étourneau tout neuf. Son travail achevé, il donna quelques coups de marteau sur les têtes des clous profondément enfoncés dans le bois et, satisfait, caressa le mât de sa paume, comme pour témoigner de l'accomplissement d'une oeuvre utile. Complètement transi - de faim peut-être - je me rendais à la cantine, à l'autre bout de la ville. La pensée que les étourneaux ne profiteraient sans doute guère de l'hospitalité que leur offrait cet homme m'a soudain traversé l'esprit. L'été, ici, est maladivement court et humide. Nous étions déjà en août : tous les oiseaux avaient depuis longtemps élevé leur couvée, il était temps pour eux de songer à partir, non de se chercher un endroit où nicher...

Je me suis arrêté et j'ai demandé à l'homme si les étourneaux migraient jusqu'ici.
- Jamais, me répondit-il calmement et, fourrant le marteau dans sa poche, il se dirigea vers la maison, désireux de ne pas prolonger une discussion oiseuse.

L'acte de cet homme était-il donc absurde ? Non. Pour lui, c'était le souvenir de la joie du printemps apportée sur les ailes bruissantes des étourneaux venus d'Inde et de Perse, de la palpitation joyeuse dans le jardin de la maison familiale, des voix claires, vives comme une eau de source, ou des pépiements d'oiseaux se répercutant dans le petit bois, parmi les arbres qui commençaient à peine à verdir, tout près du village qu'il avait quitté depuis si longtemps... Bien sûr, les étourneaux ne voleront jamais jusqu'à son nichoir, mais ce nichoir, à lui seul, est sa prière, adressée à la plénitude des grandes crues printanières de la vie. "
Vassili Golovanov, Eloge des voyages insensés, Verdier, 2008, p. 14.


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