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20 novembre 2008 4 20 /11 /novembre /2008 15:27


La berge aux petites fleurs lilas, c'est l'endroit où mes yeux se sont peut-être ouverts pour la première fois. Parce qu'un sac à dos trop lourd rend aveugle. On avance et on ne perçoit rien. Que les pas. Et le souffle. En chemin, nous sommes tombés sur un ruisseau. Nous avons essayé de le franchir à gué... en vain. Nous avons remonté le courant. Nous pensions qu'en amont, le ruisseau deviendrait moins profond, plus étroit ; au contraire, il s'est transformé en étang, puis en lac, s'allongeant sur les contreforts de la toundra. Et pendant que nous étions là, hésitants, j'ai enlevé mon sac à dos et j'ai vu...


Un endroit magique. Un vallon vert et ce ruisseau en crue, une eau incroyablement claire et froide dans laquelle se reflète le ciel, le vrai ciel, un ciel profond, perçant sous la toison hirsute des nuages, et ces toutes petites fleurs dans le velours vert de la mousse... Il y en avait une quantité incroyable et cela rendait cette berge... cela la rendait magique, oui, du moins c'est ainsi que je l'ai vue parce que mes yeux s'étaient ouverts... Nous marchions depuis longtemps déjà et cela avait aussi son importance, nous étions entrés dans un "monde vierge", un espace sans plus aucune présence humaine. Quand nous longions la côte, les détritus trahissaient la présence d'un monde, même lointain, rempli d'hommes. Quand nous sommes entrés dans la toundra, il n'y avait personne. Autour de nous, rien que la terre, pure comme au septième jour de la Création, lorsque ayant accompli son oeuvre, le Seigneur se reposa. Cette beauté encore vierge, cet espace, vous pénétrait avec une force inattendue.


De cela, je me souviens : de la beauté ressentie comme une force, comme l'inspiration d'un air de légèreté et de douceur. Autour de Moscou, il ne reste plus rien de cette beauté intacte, originelle ; de là, sa puissance ici, quasi symphonique. Voilà ce qu'il aurait fallut dire sur la berge aux petites fleurs lilas.

Vassili Golovanov, Eloge des voyages insensés, Verdier, 2008, p. 175-176.


Il est tout à fait exact que le sac à dos du

randonneur empêche de voir lorsqu'il se fait trop lourd. Et que de le jeter à terre rend parfois la vue et donne de percevoir soudain le monde à neuf. C'est une expérience tellement forte, cette perception soudaine et renouvelée du monde qu'elle laisse toujours des traces profondes dans la mémoire. Une joie et aussi comme une nostalgie... Mais le plus surprenant, c'est qu'elle peut se produire sans que nécessairement le lieu qui la suscite ne soit particulièrement beau, étonnant ou exceptionnel. Tant il est vrai qu'il s'agit bien d'un changement du regard, d'un regard fugitivement renouvelé, sur un monde ancien.

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  • : Aimant la nature, la randonnée la philosophie et les récits de voyages, je vous livre ici des extraits, parfois commentés, de livres que j'ai aimés, en rapport, et si possible à l'intersection, de ces différents sujets.
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