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8 février 2009 7 08 /02 /février /2009 10:31
Voici encore un passage des souvenirs de jeunesse de John Muir : émerveillements d'enfant revisités à la fin d'une vie, souvenirs de premières fois... Avec, au passage, quelques allusions à une éducation qui ne devait pas être piquée des vers !
Comment dire le bonheur parfait où nous mit ce brusque plongeon dans l'état sauvage - ce baptême à même le coeur chaud de la Nature ? La Nature qui nous pénétrait, qui nous inculquait par la séduction ses prodigieux enseignements, tellement différents des mornes cendres de la grammaire dont on nous imprégnait à force de raclées depuis si longtemps. Là, au contraire, nous étions à l'école, mais à notre insu ; toute leçon de la nature sauvage est une leçon d'amour, qui s'insinue en nous non par le fouet mais par le charme. Oh ! La Nature resplendissante du Wisconsin ! Tout est nouveau et tout est pur aux tout premiers jours du printemps, lorsque son pouls bat le plus fort, en accord mystérieux avec le nôtre ! Les jeunes coeurs, les fleurs et les feuilles nouvelles, les animaux, les vents, les ruisseaux et le lac étincelant, tous se livrent à coeur perdu à la même joie sans limite ! (...)

Tout autour de nous était si nouveau et si merveilleux que c'est à peine si nous pouvions en croire nos sens, hormis lorsque la faim nous tenaillait ou que papa nous donnait la tannée. Quand pour la première fois, par un soir d'orage étouffant, nous vîmes la prairie du lac Fontaine piquetées de millions de vers luisants, l'effet était si beau, si insolite, qu'il paraissait trop prodigieux pour être réel. Du haut de notre abri, sur la colline, il me semblait que tout ce spectacle féérique se passait à l'intérieur même de mes yeux : ce n'est que pendant les bagarres, lorsque je recevais des coups aux yeux, que j'avais déjà vu quelque chose d'approchant. Mais quand je demandai à mon frère s'il ne voyait pas quelque chose de bizarre dans la prairie : "Oui, me répondit-il, il y a partout des étincelles qui clignotent." J'en conclus qu'il devait bel et bien s'agir d'un phénomène extérieur à nous, dont j'allai demander l'explication à notre Yankee omniscient. "Oh ! c'est juste des vers luisants", répondit-il en nous menant au bas de la colline, au bord de la prairie étincellante ; là, il ramassa quelques-uns des ces insectes extraordinaires, les mit dans une tasse et les rapporta jusqu'à la cabane, où nous pûmes les observer lancer à intervalles réguliers leurs éclairs mystérieux, comme si chacun de ces brasillements passionnés était l'effet d'un battement de coeur. J'ai vu un jour, dans les contreforts de l'Himalaya, au nord de Calcutta, une magnifique parade de vers luisants, mais pour si stupéfiante qu'elle fût dans son rayonnement proprement stellaire, elle faisait bien moins d'impression que ce flamboiement insensé, immense et scintillant sur notre pré du Wisconsin.
John Muir, Souvenirs d'enfance et de jeunesse, Corti, 2004, p. 46-47 et 51-52.
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  • : Aimant la nature, la randonnée la philosophie et les récits de voyages, je vous livre ici des extraits, parfois commentés, de livres que j'ai aimés, en rapport, et si possible à l'intersection, de ces différents sujets.
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